L'art n'a pas de frontière. L'enthousiasme du réalisateur taiwanais Lee Ang pour le cinéma a porté ses fruits en Allemagne puisque son film Repas de noces a reçu l'Ours d'or du XLIIIe Festival du film international de Berlin. En effet, un bon film taiwanais a non seulement ému les Taiwanais, mais aussi il a touché les spectateurs du monde entier.
Une histoire vraie racontée par un ami a inspiré Lee Ang pour la frame de son film Repas de noces il y a cinq ans. Mais le projet de tournage fut rejeté par Central Motion Picture Corporation étant donnée la particularité du sujet, l'homosexualité devant les mœurs conservatrices de la société de l'époque. Grâce à une certaine libéralisation des esprits l'an dernier, tout le monde peut avoir la chance de partager le Repas de noces ensemble.
Le scénario
Deux hommes amoureux et une femme démunie de la Green Card (la carte de séjour américaine) sont les principaux personnages de cette tragi-comédie : Kao Weï-tong, ayant accumulé une certaine richesse grâce à une carrière dans les investissements fonciers, cohabite avec Simon, un Américain blanc, dans un bâtiment de Manhattan (New York), tandis que ses parents de Taiwan s'inquiètent toujours de son mariage. Pour délivrer Weï-tong de la pression de ses parents, Simon conçoit une idée en proposant Weï-tong d'épouser Weï-weï, une artiste chinoise séjournant à New York illégalement et louant un appartement de Weï-tong au quartier de Soho. Un mariage qui répond à la demande de chacun est ainsi conclu. Et Weï-weï déménage chez Weï-tong afin de mieux se comprendre l'un l'autre car les entrevues du Bureau de l'Immigration américaine sont inévitables de temps à autre.
L'arrivée inattendue des parents de Weï-tong transforme le mensonge en une farce. Au lieu d'une cérémonie de mariage toute simple, les vieux parents tiennent un repas de noces tapageur selon leurs plus vifs espoirs. Une mutation subtile fermente dans l'atmosphère joyeuse des noces traditionnelles chinoises. Weï-weï ne peut s'empêcher de tomber amoureuse de son époux tandis que Simon, déclassé en personne de peu d'importance se sent négligé. Et bien sûr, Weï-tong coincé dans ce dilemme, est de plus en plus pincé au cœur.
La grossesse de Weï-weï ahurit tellement le couple homosexuel que Simon décide de quitter son amant. Atteint d'une légère attaque d'apoplexie, le père est hospitalisé. Le fils confesse son amour à sa mère non sans la choquer, et elle lui demande de garder le secret sans en parler à son père. Toute l'intrigue atteint son paroxysme quand Weï-weï décide d'avorter et de retourner en Chine. La veille de l'opération, le père laisse rentrer Simon...
Trop belle?
Des scènes pompeuses et agréables, un montage magnifique, une belle musique de fond et des acteurs de qualité forment un bon film de style hollywoodien. Tel est le point de critique de certains commentaires cinématographiques sur le Repas de noces étant donnée la solution d'un problème évidemment insoluble. Le happy end de ce film semble un mirage du désert. Le bébé va naître dans l'amour de sa mère, de son père et de l'amant de son père. Les deux vieux finissent par accepter le fait que leur fils est homosexuel. Un tel dénouement sans explication claire suscite une question : la conclusion du Repas de noces n'est-elle pas trop belle? Pourtant, Lee Ang pense justement le contraire : « C'est une mélancolie profonde qui se cache sous cet optimisme ».
On a l'impression que le réalisateur traite les conflits ou les crises avec trop d'indulgence sans y pénétrer réellement. Mais Lee Ang n'est point d'accord. En effet, tout cela est lié à son caractère. Il est convaincu qu'avec le temps, tous les problèmes se résoudront naturellement grâce à l'amour humain. « Qué séra séra » est la meilleure attitude à l'égard de la vie, selon lui. A la fin du film, quand toute la famille regarde les photos, un silence subit et froid mêlé à la fois d'une compréhension mutuelle et d'un embarras, plane à la vue de l'image de Weï-tong et Simon photographiés ensemble. Mais c'est tolérance que cette conclusion très sophistiquée et chinoise imprime qui apaisent tous les conflits.
Un cinéaste né
« Un film a sa destinée. C'est lui qui me guide dès le premier scénario brut du Repas de noces de cinq ans avant. Le cinéma est vaste, or l'homme est petit, s'exclame Lee Ang. Pourquoi y a-t-il le cinéma? Peut-être la vie est-elle trop monotone et l'homme tourne des films pour en chasser l'ennui. » C'est pourquoi la réaction chaleureuse des spectateurs berlinois en faveur du Repas de noces ravit plus son réalisateur que l'Ours d'or, dit-il. Néanmoins, ce prix l'a délivré du sentiment de culpabilité qui le hantait depuis longtemps.
Agé de 39 ans, le réalisateur plaisante souvent qu'il était intimement attaché au cinéma dès qu'il était dans le ventre de sa mère qui était éprise de cinéma et de canne à sucre pendant cette grossesse. D'un père érudit, directeur d'un grand lycée du sud de Taiwan, Lee Ang fut toujours un élève brillant des meilleures écoles. Pourtant, ayant échoué au concours d'entrée à l'université, il fit des études théâtrales à l'Académie nationale des Beaux-Arts de Taiwan à Pankiao. Le remord d'avoir déçu son père le rongeait depuis longtemps. En effet, le cinéma a peu d'estime dans la tradition chinoise. Pourtant son zèle pour le cinéma l'a soutenu dans la poursuite des études théâtrales et cinématographiques aux Etats-Unis, jusqu'à l'obtention d'une maîtrise ès sciences cinématographiques à l'université de New York. Enfin, l'Ours d'or de Berlin a chassé son grand regret qui pesait sur son cœur.
Lee Ang attribue son succès en grande partie à sa femme qui a assumé toute seule la responsabilité financière de la famille pendant six ans tandis qu'il se plongeait dans les scénarios du cinéma. Il se chargeait du ménage, ou se tournait les pouces à la maison. Deux films, Les mains poussant et Repas de noces sont produits dans cette période. « J'ai grandi », s'exclame-t-il.
Et après...
Enfin, Lee Ang a rencontré un patron qui apprécie son talent, M. Hsu Li-kung, vice-président de Central Motion Picture Corporation. Il lui a apporté un soutien complet dans la production de ces deux films. Tous deux ont redonné espoir au cinéma taiwanais qui est malheureusement tombé très bas dans les années 80.
Le succès du Repas de noces ne tient pas seulement à sa synopsis gaie et émouvante, mais aussi aux point forts de sa production, indépendante du style américain, très différente de celle de Taiwan qui ne projette que des vedettes et ne s'inquiète que la diffusion dans une poursuite folle de la mode sans considérer le scénario. Le Repas de noces a un thème non commercial en dépit de la tendance actuelle. Après avoir gagné le prix décerné par l'office d'Information du Gouvernement en 1991, le scénario du Repas de noces a été retouché plusieurs fois avant son tournage à New York. Une équipe de techniciens et un matériel à budget limité ont réalisé ce film de qualité qui montre son brillant cahier de notes dans le marasme du cinéma taiwanais. Les industriels du cinéma auront quelque chose à en apprendre.
Wu Hsiao-ling
Crédits photographiques de Central Motion Picture Corporation